« Ce style de mes récits en hébreu est une création nouvelle, que j’ai bien méditée en mon cœur et dans mon esprit, et je me suis dit : faisons un style hébraïque qui soit vivant, qui parle de façon claire et exacte, comme parlent les gens de nos jours et dans nos régions, et que son âme soit juive ; et qu’il soit digne qu’on fasse avec lui des récits en hébreu pour les Juifs. »
Lettre de Mendele Moykher-Sforim à Yoyshue-Khone Ravnitski, 11 septembre 1906
Plus que tout autre écrivain yiddish et hébraïque, Mendele s’est distingué par le travail innovateur qu’il a mené sur le langage. L’expérimentation linguistique fait partie intégrante de son activité littéraire et son influence sur les deux langues est incommensurable.
En yiddish, il a travaillé pendant des années à la création d’une langue transdialectale qui puisse être comprise dans différentes régions. En remaniant ses œuvres dans les années 1880 à 1900, il réduit notamment le nombre de mots d’origine slave – la part du vocabulaire yiddish qui varie selon la région – pour les remplacer par davantage de mots appartenant aux composantes germanique et hébraïque. La littérature yiddish moderne lui doit aussi d’avoir su varier et différencier les registres de langue et, tout particulièrement, d’avoir su transmettre le rythme et l’idiomatique de la langue parlée.
Mendele était également un excellent connaisseur de l’hébreu. Alors que ses premiers textes dans cette langue suivent encore le modèle du style maskilique – un style érudit, rigide et très ornementé – ses œuvres plus tardives ont véritablement révolutionné l’hébreu moderne. En 1886, après une période d’une vingtaine d’années où il n’a publié de la prose qu’en yiddish, il ouvre une nouvelle époque dans la littérature hébraïque avec sa nouvelle Beseyser raam (Au cœur de l’orage). Cet ouvrage arbore un nouveau style qui réunit de façon harmonieuse des éléments de toutes les couches historiques de la langue (la Bible, la Mishna, le Talmud, les prières, l’hébreu du Moyen-âge…) et s’éloigne des modèles figés caractéristiques du style maskilique. Le caractère novateur de Mendele s’observe aussi dans sa tentative d’inventer en hébreu un langage parlé sur la base du yiddish. Ces acquis ont profondément marqué la langue hébraïque (et ce, même au-delà de la langue littéraire) et perdurent jusqu’à nos jours.