1. Naissance d’un homme des Lumières

« Et le vent m’a soulevé et, m’empoignant avec violence, m’a jeté vers les différents échelons de la vie, m’élevant et me précipitant, et l’ange de Dieu me chasse. Il m’a fait descendre auprès de mes frères les plus démunis, au plus bas de l’échelle, pour partager leur vie de misère et ressentir leurs douleurs. Et j’ai pris sur moi une part importante de leur peine. »

Mendele Moykher-Sforim, « Esquisse de ma biographie », 1889

Sholem-Yankev Abramovitsh en 1862.

Sholem-Yankev Abramovitsh commence son activité littéraire en 1857, à l’âge de 21 ans, après son arrivée à Kamenets-Podolski. Le jeune homme a déjà traversé beaucoup d’épreuves : à 13 ans, il perd son père et doit subvenir seul à ses besoins. Loin de sa famille, sans moyens de subsistance, il va de ville en ville pendant quelques années, d’abord pour parfaire son instruction religieuse, puis au sein d’un groupe de mendiants itinérants. Ses errances en compagnie des plus nécessiteux, sa proximité avec la nature ainsi que la vie dans un nouvel environnement à Kamenets ont probablement contribué, avec son érudition, à le rapprocher des cercles des maskilim.

Illustration tirée de Toldoys hateva (Histoire naturelle), Leipzig, 1862, vol. 1 : Mammifères.

Les années suivantes, son travail d’écrivain et de publiciste s’inscrit nettement dans l’esprit de la Haskole. D’abord uniquement en hébreu, il aborde des sujets extrêmement divers : il écrit de la prose, jette les fondements de la critique littéraire juive et publie des traductions ainsi que des adaptations d’ouvrages scientifiques. Ses écrits se caractérisent par un regard critique et des opinions non-conformistes, ainsi que par une grande sensibilité vis-à-vis de l’injustice et l’oppression des faibles.

Page de titre du premier livre d’Abramovitsh, Mishpat sholoym (Jugement de paix), Vilnius, 1860.

Sa réceptivité aux idées de la Haskole, qui est en train d’ébranler les fondements de la société juive traditionnelle, a aussi été favorisée par une éducation atypique : son père avait insisté pour qu’il connaisse par cœur la Bible dans sa totalité avant de commencer ses études talmudiques. Ce fait, rare à l’époque, coïncide avec les revendications des maskilim et, joint à ses expériences dans différentes écoles talmudiques, éveille son intérêt pour les questions d’éducation et de pédagogie. Il leur consacre son premier article en 1857, en hébreu.

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